d'après Catherine Despeux Taiji Quan art martial, technique de longue vie (Editions: Guy Trédaniel)
Le
mont Wudang est situé dans la
province du Hubei (nord-ouest). Il acquit
sa célébrité surtout à partir de la dynastie des Song, lorsqu'un culte à
la divinité taoïste Zhenwu ou encore Xuandi, divinité de la guerre liée
au nord1, s'y développa. Dès les Han cette divinité, l'«
Empereur noir » (Xuandi) ou le « guerrier véritable » (Zhenwu), a été
associée au boisseau du nord et à l'étoile polaire, localisation
cosmographique du Taiji.
L'école taoïste du mont Wudang a développé
toute une série de rituels militaires destinés à combattre les démons et
les influences maléfiques lors de cérémonies de combat à main nue ou
avec des armes. Par ailleurs ces rituels d'exorcisme sont très souvent
liés au Taiji.
Le mont Wudang est étroitement associée la personnalité du taoïste Zhang Sanfeng,
qui aurait vécu sous les Song du Sud (1127-1279) ou plus tard. C'est
cet éminent personnage, que l'on présente généralement comme le créateur
du Taiji quan.
En effet, si l'on interroge les maîtres sur l'origine de
cet art, ils racontent pour la plupart l'histoire suivante : un jour que
l'ermite Zhang Sanfeng était à la fenêtre de sa hutte sur le mont
Wudang, son attention fut attirée par le cri étrange d'un oiseau. Se
penchant, il vit une pie effrayée descendre d'un arbre au
pied duquel se trouvait un serpent. Un duel s'ensuivit, et la pie fut
vaincue par le serpent, ce dernier combattant en souplesse et avec des
déplacements curvilignes.
Zhang Sanfeng comprit alors la suprématie de
la souplesse sur la rigidité, l'importance de l'alternance du Yin et du
Yang, et d'autres conceptions formant la base du Taiji quan ; c'est à la
suite de cet incident qu'il élabora le Taiji quan, application des
principes du Taiji. Cette histoire rappelle étrangement celle de l'invention du pas de Yu, relatée dans nombre de textes taoïstes:
ce célèbre démiurge, qui a dompté les eaux, organisé le monde et l'a
divisé en neuf sections grâce à sa danse, à son pas sautillant, aurait
inventé ce pas après avoir vu un oiseau tourner autour des arbres et des
pierres pour attraper des serpents : le thème est ici l'inverse de
celui de la légende de Zhang Sanfeng.
Selon une autre légende,
Zhang Sanfeng aurait reçu cette technique en rêve. On peut lire en effet dans le
Ningbo fuzhi
:
« Songxi aidait les gens et excellait dans le combat à main nue, il
avait pour maître Sun le treizième vénérable, qui disait détenir sa
méthode de Zhang Sanfeng de la dynastie des Song... Une nuit, Zhang
Sanfeng reçut en rêve de l'Empereur Noir (Xuandi) une méthode de combat à
main nue ; le lendemain au réveil, il put à lui seul tuer plus d'une
centaine de bandits. »
Il est intéressant de noter les
conceptions des Chinois sur la création d'une chose ou d'une technique.
Il ne s'agit pas d'inventer quelque chose de nouveau, mais la plupart du
temps de retrouver un modèle mythique ancien, qui peut être situé à des
temps reculés, une sorte d'âge d'or, par exemple au temps des empereurs
Huangdi et Shennong, ou comme ici au temps de Yu le Grand. Ce modèle
peut être situé dans un domaine nouménal, et être révélé aux personnes
qui en sont dignes soit par une divinité, soit par des immortels
taoïstes que l'on rencontre un jour et qui disparaissent aussitôt. Le
plus souvent, il s'agit donc d'une redécouverte, voire d'une révélation,
qui se fait en plein jour ou par l'intermédiaire du rêve.
Il en
résulte que l'atteinte à une connaissance comporte des années de
pratique, mais le passage à la maîtrise totale de l'art a un caractère
subit, et est souvent suscité par un événement extérieur en apparence
insignifiant.
D'après la « Biographie de Zhang Sanfeng » insérée
dans l'Histoire officielle des Ming (Mingshi), ce personnage aurait vécu
du XIIe, siècle au XIV-XVe siècle, soit plus de 200 ans. « Il était
grand, d'imposante apparence, il portait les signes classiques de
longévité, c'est-à-dire ceux de la tortue et de la grue. Il avait de
grandes oreilles et des yeux ronds. Sa barbe se hérissait furieusement
comme la lame d'une hallebarde. Été comme hiver, il portait un simple
vêtement. » Il était très versé dans l'alchimie intérieure, et plusieurs
ouvrages apocryphes sur cette dernière discipline, datant de la fin du
siècle, lui sont attribués.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le
choix de Zhang San feng comme créateur du Taiji quan.
Le premier est
celui que nous avons exposé ci-dessus, à savoir l'habitude chinoise
d'attribuer à un personnage éminent, dont la biographie est écrite sur
le modèle type des sages taoïstes mais aussi des sages de l'antiquité,
une invention.
Le deuxième facteur est le lien intime entre Zhang
Sanfeng et le mont Wudang, lieu de pèlerinage consacré à Zhenwu le «
Guerrier véritable » et centre de développement des rituels militaires.
Enfin, l'on a probablement voulu opposer un saint taoïste à l'éminent
moine bouddhiste Bodhidharma à qui est attribuée la création des
techniques de combat Shaolin.
Certains des maîtres de Taiji quan que
nous avons rencontrés dénient même la paternité du Taiji quan à Zhang
Sanfeng, considérant qu'il a seulement modifié le Shaolin quan.
Selon cette hypothèse, alors que Zhang Sanfeng se rendait dans le
Sichuan, il se serait arrêté en chemin au temple Shaolin de la province
du Henan pour y apprendre les techniques de combat et n'aurait étudié le
taoïsme qu'ultérieurement, par l'intermédiaire des arts martiaux.
S'étant rendu compte que les moines de Shaolin faisaient un emploi
excessif de la force musculaire, entraînant ainsi une déperdition
d'énergie originelle, il aurait cherché un moyen de pallier cet
inconvénient et aurait ainsi créé le Taiji quan (dont les principes,
comme nous le verrons, sont orientés vers une conservation de l'énergie.
Les défenseurs de cette théorie se fondent sur la similitude de
quelques mouvements du Taiji quan et du Shaolin quan. Mais l'on peut
penser aussi que ces deux techniques ont fait des emprunts au fonds
commun des techniques de combat millénaires en Chine.